Frédérique Bernard, Keep in touch ?

L’artiste s’est photographiée avec chacun de ses parents et plus proches amis en respectant toujours le même rituel à deux temps : un premier cliché expose l’ami ou le parent, touché par la main de la photographe, et le second expose cette fois-ci l’artiste touchée à son tour par la main de l’ami ou du parent. Le geste se révèle aussi tendre que fragile. Les deux photographies se trouvent alors associées, chacune semble, certes, inachevée sans l’autre, mais chacune – et là est l’essentiel – apparaît totalement indépendante de l’autre. «Keep in touch ?» est une question – Comment « garder le contact » malgré tout ? – une question d’autant plus urgente, d’autant plus cruciale, et d’autant plus douloureuse que cet autre auquel l’artiste est arrachée est le plus intime. Mais le processus de déliaison est irréversible et rien, pas même un contact physique, une caresse, une main qui frôle un visage, un contact pourtant bien réel, ne peut y remédier, raccommoder le fil rompu. Les diptyques font illusion quelques instants lorsque le spectateur se rend soudainement compte que chaque photographie fonctionne parfaitement seule. Les clichés sont devenus des entités autonomes. Dans l’expérience de l’absence radicale de l’autre, la douleur la plus aiguë, c’estde se rendre compte que l’on peut survivre à l’autre, comme l’autre peut nous survivre. […] Quelles que soient les personnes que les clichés re-lient tendrement, artificiellement, ils pointent toujours la même vérité : nous sommes irrémédiablement dé-liés. Keep in touch ?

Frédérique Bernard, Janvier 2006

Enseignante en philosophie de l’art, en lycées