La traversée de la Cité U / Université Paris Nanterre
Géographie et photographie
2010 – 2012
Au croisement de deux démarches, géographique et plastique, un lieu – la résidence étudiante du campus de Nanterre – et une expérience. Zoé Vaillant, géographe, met en place en 2010 une recherche sur le rapport entre le territoire vécu et pratiqué des étudiants logés à la résidence universitaire du campus de Nanterre et leur santé individuelle et collective. Elle s’immerge au coeur de ce terrain en y logeant.
La résidence est un lieu de passage, investi sur le mode du provisoire, où les interactions sociales sont d’autant moins visibles dans l’espace public, qu’on y trouve ni de lieu collectif ouvert, ni de lieu de sociabilité. Cet obstacle offre l’opportunité de croiser la recherche avec le travail photographique de la plasticienne Caroline Vaillant. Celle-ci va alors proposer de fabriquer un tricot collectif avec les résidents et de les photographier.
Ainsi, la géographe, au départ isolée sur un terrain difficile d’accès, va pouvoir rencontrer des résidents et, tricotant avec eux, instaurer une confiance pour initier des discussions autour de son enquête. On verra donc géographe et photographe postées un soir par semaine dans l’une des entrées de la résidence, inviter les passants à faire grandir avec elles la forme tricotée.
Au travers de cette expérience, la géographe sera amenée à questionner le sens des lieux, les rapports entre lieux et liens sociaux à cet endroit. La photographe, elle, se fondera dans cette observation à l’aide du tricot.
Les tricoteurs, quant à eux, en s’appropriant et en partageant cette expérience, feront de la forme tricotée un révélateur de territoires.
Pour rendre compte de cette expérience, nous proposons au lecteur de découvrir le lieu et de voir comment une forme tricotée et photographiée décrit liens sociaux et rapports au territoire.
Partie I
La résidence universitaire : cloisons et succession de compartiments
La résidence universitaire s’inscrit dans un ensemble de compartiments territoriaux à différentes échelles, du plus large, la métropole, au plus resserré, l’intérieur même des bâtiments. Elle se trouve au bout d’une succession d’espaces urbains socialement, économiquement, urbanistiquement différenciés, voire compartimentés, auxquels elle est fortement reliée en pratique autant que symboliquement. La résidence s’érige entre confinement et connexions, entre séparation et intégration, sédentarité et mobilité.
Le trait d’union Nanterre – Paris et la Défense
La résidence de l’Université Paris Ouest Nanterre La Défense, se trouve sur le sol de la ville de Nanterre, banlieue de Paris historiquement ouvrière.. Elle se distingue en cela de la métropole parisienne intramuros. Elle contraste aussi par sa contiguïté avec La Défense, le plus grand centre d’affaires d’Europe qui symbolise et incarne l’inscription de la France dans la mondialisation économique. Nanterre capte les ressources liées à la localisation sur une portion de son propre sol d’une petite partie de ce grand centre. Cependant, la population de Nanterre est marquée par d’importantes difficultés socio-économiques. Comme d’autres villes de banlieues parisiennes, l’image de Nanterre est associée dans les représentations collectives, à une péjoration renvoyant à l’idée de marge, à des réalités sociales infériorisées, à des lieux ségrégués, voire ghettoïsés.
L’ Université séparée de la ville
Construite au début des années 1960 dans un espace qui restera jusqu’au début des années 1970 un grand bidonville – Nanterre La Folie – l’Université est séparée du reste de la ville. La population, originaire d’Afrique du Nord, particulièrement d’Algérie, travaillait dans les usines, notamment de construction automobile. Dans la configuration politique de l’époque marquée par la guerre d’Algérie et les luttes ouvrières sur fond de guerre froide, l’installation d’une université à cet endroit fut perçue par la municipalité comme une manœuvre de l’Etat visant à créer une enclave déstabilisante au sein d’un bastion rouge et d’un foyer stratégique du Front de Libération Nationale. En effet, l’université est une entité juridique autonome vis-à-vis de la municipalité. Ne dépendant que du ministère de l’enseignement supérieur, elle échappe aux projets d’urbanisme fixés par la municipalité. Elle gère elle-même tout ce qui concerne le bâti et les espaces extérieurs de circulation. Le site universitaire sur lequel se trouve la résidence étudiante demeure une enclave juridique, urbanistique, fonctionnelle, sociale et politique sur le sol de Nanterre. Jusqu’au milieu des années 1970, la poursuite d’études supérieures restait, plus encore qu’aujourd’hui, un privilège. Les étudiants étaient principalement issus de la bourgeoisie. L’université ne recrutait qu’exceptionnellement des étudiants dans les milieux populaires, à fortiori dans les quartiers environnants. La ville de Nanterre a donc longtemps considéré qu’elle avait été dépossédée d’une partie de son sol et pour toutes les raisons évoquées a long-temps tourné le dos à l’université, et réciproquement. En outre, le bidonville s’était développé sur un espace particulièrement ingrat, éloigné du centre-ville historique de Nanterre, au milieu des infrastructures construites progressivement, servant de support au métabolisme urbain : voies de chemin de fer, bretelles d’autoroutes A86 et A14, transformateur EDF. L’habitat précaire et insalubre a progressivement été résorbé d’abord en cités de transit (1) puis en cités d’habitations à loyer modéré. C’est pourquoi l’université est aujourd’hui entourée d’imposants quartiers d’habitat social (2). Cette enveloppe d’équipements majeurs, écrase les accès de proximité piétonniers, qu’elle rend peu lisibles et peu visibles. Ils sont d’autant moins connus que parmi les 35 000 personnes que draine chaque jour l’université, la majorité arrive par le train, le RER (3) et le bus. Les voyageurs qui sortent de la gare se trouvent im-médiatement à l’entrée du campus, et n’ont pas à emprunter les accès piétonniers pour s’y rendre. Ce trait du paysage et des usages circulatoires accroît la séparation physique, morphologique, sociale et symbolique du campus d’avec le territoire dans lequel il s’inscrit physiquement. C’est en 2007 qu’une première charte Ville-Université est élaborée et qu’une réflexion d’articulation s’amorce (4). Par ailleurs les travaux du plus grand établissement d’aménagement de France sont en cours de réalisation. Il s’agit de relier les berges de la Seine derrière l’université à la grande arche de la Défense par une avenue rectiligne qui viendra parfaire la ligne de prestige pensée par les urbanistes, il y a plu-sieurs siècles, pour disposer en enfilade le Louvre, la Concorde, les Champs Elysées, l’Arc de Triomphe… jusque l’arche de La Défense et la Seine aujourd’hui.
1 Construction en dur rapide mais de basse qualité. 2 Anatole France, Provinces Françaises, Petit Nanterre. 3 Réseau Express Régional. 4 Un élu municipal aux relations ville-université.
La résidence séparée de l’Université
Tout comme l’Université est séparée de la ville et des quartiers environnants, la résidence universitaire l’est des lieux d’étude. Elle n’est pas visible lorsqu’on entre sur le campus en venant de la gare, principal accès à l’université. Elle est située à l’opposé, dans un angle en bordure de la grande route menant à la A 86 et au quartier du Petit Nanterre. Cachée derrière de nombreux obstacles visuels : bâtiments d’enseignement, piscine, terrains de sport, chaufferie, aucun panneau signalétique ne mentionne son existence sur le campus. On peut donc évoluer dans l’université sans (sa)voir qu’il s’y trouve une résidence de plus de 1000 habitants. La séparation morphologique entre la résidence et l’université est renforcée par le parti architectural. Les 8 bâtiments de 4 ou 9 étages qui la composent, leur architecture, les matériaux de construction utilisés, s’apparentent plus à l’habitat social alentour qu’au bâti de l’université. Ainsi, la résidence n’appartient à aucun ensemble : bâtiments physiquement éloignés des cités alentours mais s’associant à un même type de construction, bâtiments localisés sur le campus mais construits dans un style bien distinct.
Cette rupture morphologique et visuelle se double d’une séparation juridique puisque les terrains sur lesquels se trouve la résidence appartiennent au CROUS (1) et non à l’Université. Cette dislocation complique la gestion de ces espaces imbriqués.
1 Centre Régional des Œuvres Universitaires et Sociales.
Juxtaposition de compartiments
Le terme Résidence universitaire évoque une entité spatiale unie, cohérente et circonscrite. Or ici, il existe 8 bâtiments disposés en 4 couples de deux, chaque paire partageant un même hall d’entrée. Cet agencement des bâtiments en L ou en Z donne d’emblée une impression de fragmentation. Ainsi ce qui pourrait être une cour entre ces bâtiments fonctionne comme un espace vide, hâtivement traversé par les piétons en résidence. Cet espace n’a pas été conçu pour être un centre, lieu de possible convergence des usages résidentiels. L’absence de mobilier urbain ou d’ornement renforce ce parti utilitaire de la conception qui ne réserve pas de lieu où s’arrêter à plusieurs (bancs, fontaine, sculpture, arbre, décoration florale). Abîmées, zébrées de la foulée estudiantine qui cherche à rejoindre le plus vite son point de destination, les conventionnelles pelouses apparaissent comme des espaces résiduels et non comme des jardins. Elles ne sauraient à elles seules poétiser l’endroit. Pas de surplus, pas de charme qui donne-rait la sensation d’être reconnu en tant qu’habitant. La résidence est une juxtaposition d’immeubles peu ou pas connectés, un lieu aux contours indéterminés. Elle n’est pas l’écrin de quelque chose, la sphère de réciprocité que l’on espère. Chaque bâtiment dispose d’un hall d’entrée où se trouve une loge vitrée. Pendant la journée, un employé du CROUS accueille et collecte les demandes des résidents : une fuite à réparer, une coupure d’eau chaude, une fenêtre qui ne ferme plus etc. La nuit une société privée, assure la surveillance et la sûreté des lieux. Des veilleurs de nuit en uniforme, s’installent dans les loges et font des rondes. Un numéro de téléphone est à la disposition des résidents. Ils peuvent, par exemple, appeler pour se faire accompagner à travers le campus depuis la sortie de la gare du RER, jusqu’à la résidence. Ce dispositif, rendu nécessaire par des événements funestes récurrents (agressions, trafics de drogue, d’armes) participe de et à l’extraction du lieu de son environnement proche. La réhabilitation progressive de la résidence depuis 2007 a permis de réduire les trafics avec le quartier environnant. Cette impression d’être « gardés », pour être préservés de l’extérieur contribue à circonscrire la résidence et ses occupants, à les différencier des habitants des quartiers alentours. L’extérieur « c’est pas nous ».
La résidence, lieu entre-deux
Accéder à l’Université représente pour les résidents, économiquement fragiles, boursiers sociaux, un espoir et un enjeu d’ascension sociale et économique. La localisation de la résidence, en retrait du campus universitaire d’une part, d’autre part séparée des habitations alentours et de la ville en général, incarne la position des résidents eux-mêmes dans cette trajectoire de vie espérée. D’un côté, les fenêtres des bâtiments donnent sur La Défense, de l’autre côté, sur des grands ensembles d’habitat social, la maison d’arrêt, une zone industrielle. Cette oscillation des paysages visibles depuis les fenêtres des bâtiments, figure celle qui est au cœur des enjeux de vie des résidents. La résidence est un sas (1), un entre-deux : on n’y de-meure pas, on y transite. Il appartient aux étudiants de donner cette fonction de sas à la résidence par le déplacement. C’est en empruntant la ligne rouge du RER A, qui innerve des points cardinaux de la capitale (La Défense, Etoile, Opéra, Châtelet les Halles, Nation) que les résidents rejoignent le centre.
1 Sas selon le dictionnaire Larousse : petite chambre munie de deux portes étanches permettant de mettre en communication deux milieux dans lesquels les pressions sont différentes.
Un lieu sans convivialité
Aucune accroche pour demeurer là. L’intérieur des bâtiments incite à glisser dehors : l’exiguïté de la majorité des logements (10 m²), la répétition d’espaces standards sans éléments particuliers pour les différencier, l’enfilade de boîtes à lettres, anonymes et numérotées, les très longs couloirs de distribution, identiques et sans signalétique, les portes sans le nom de l’habitant, la rareté des détails personnalisant l’entrée des chambres, donnent une impression de multiplication à l’infini d’un espace lisse, sans aspérité. Les cuisines, situées un étage sur deux sont sur ce même mode.
Des matières glacées, blanches, aucun objet. Pour cuisiner, le résident apporte et remporte tout son matériel dans sa chambre : rien ne doit rester de son passage. Il faut emprunter les escaliers ou l’ascenseur avec ses ustensiles et ses denrées pour se rendre à la cuisine. Quelle appropriation possible des lieux en l’absence d’éléments soutenant les rituels qui instaurent pleinement la cuisine en « cuisine » ? La surface (20 m² environ) et le mobilier (une table et deux bancs), constituent une géométrie fonctionnelle, et non le support des actes coutumiers autour de la nourriture qui font des repas des moments socialisants même si l’on est seul. Plutôt que de cuisines ne s’agit-il pas de simples espaces dans lesquels sont mis à disposition une plaque chauffante et un évier ?Personne ne peut avoir l’idée, et de fait personne ne l’a, de venir bouquiner, jouer, prendre un thé, goûter seul ou à plusieurs. D’emblée, ce lieu n’est ni chaleureux ni convivial. C’est un point froid qui ne porte pas en lui la trace de la vie des résidents, ce qui rend pénible de s’y rendre car le transformer en point chaud constitue un effort au quotidien. Bien souvent, on fait cuire sa nourriture et l’on retourne manger dans sa chambre. Ce lieu recouvre quelqu’agrément lorsqu’il est envahi par les étudiants pour des soirées exceptionnelles car c’est le seul endroit où se réunir. La difficulté d’appropriation, l’usage fonctionnaliste des lieux tiennent aussi à l’absence d’espace de convivialité comme un foyer ou une cafétéria, qui encouragerait une vie collective. Une salle a été ouverte par le passé avec fauteuils, table basse, cafetière, bouilloire, mais faute de moyens et d’accompagnement pour la tenue du lieu, la tentative n’a pas abouti (1). Les temps et les lieux collectifs de rencontres sont donc rares, ces dernières se faisant plutôt sur un mode interindividuel, dans la sphère privée et souvent, via des supports virtuels comme les réseaux sociaux sur Internet de type Facebook.
1 Une cafétéria a ouvert en octobre 2011 mais il n’en existait pas en 2010 au moment de notre visite.
Partie II
Le dispositif tricot : création d’interaction, appropriation de lieu
À mesure que la géographe observe les lieux, l’expérience du tricot interactif se met en place et vient nourrir la réflexion. Patiemment, tour à tour, quelques individus tracent des lignes de laine, tricotant des branches en arborescence exponentielle et tentaculaire. Fruit direct de l’interaction des tricoteurs en activité, ces circonvolutions laineuses, aux multiples terminaux se font réseau, composition de rapports interindividuels et collectifs, grossissant au fil du temps.
Une intrusion : le hall revu, relu
L’installation du tricot dans l’entrée des immeubles bouleverse la perception, l’usage et le fonctionnement habituels du hall, lieu de passage quelconque. Les passants butent sur une incongruité, s’arrêtent plus ou moins longuement. L’utilisation d’un mobilier personnel (des chaises de camping, légères et mobiles) suggère l’affirmation d’une subjectivité face à l’impersonnalité et l’anonymat des lieux : des personnes manifestent leur intention d’inviter des passants à s’asseoir. Le hall devient temporairement un lieu semi-intime que renforce l’activité de tricoter. En effet, dans les représentations, le tricot est associé à l’espace du foyer chaleureux, au cocon protecteur, familier, à une mère ou grand-mère qui tricote un objet douillet pour quelqu’un de la famille. La forme joue comme un foyer centripète. Dans une résidence qui n’a pas de foyer central, des habitants se rapprochent et se resserrent en un point chaud, éphémère, qui transfigure le hall, devenant un espace d’appropriation.
Tricoter ensemble une forme antiréseau
Par le truchement du tricot qui rassemble, les résidents perçoivent ce qui les réunit : chacun tricote avec d’autres qu’il ne connaît pas mais qui ont le point commun d’habiter ici. Toute personne, parce qu’elle réside et passe par là, fait potentiellement partie du tricot. Il ne pourrait pas lui être refusé de tricoter. Chacun est légitime à tricoter du fait qu’il est ici chez lui. Ce caractère unifiant de l’activité pratiquée dans ce dispositif, est renforcé par son côté hors mode. Elle renvoie à une part d’ancestralité partagée par tous (1) plus qu’à des contours sociaux qui dessineraient un intérieur et un extérieur entre « ceux qui en sont » et « ceux qui n’en sont pas ». Ancestralité partagée dans un lieu où les résidents de passage viennent de partout dans le monde…À cette intimité qui rassemble, la nature du geste de tricoter ajoute une sensation de sécurité. La répétition du geste, sa facilité, le plaisir de manipuler laine et aiguilles, de donner forme de façon immédiate et directe à quelque chose, actualise une sensation jubilatoire propre aux jeux enfantins. Le geste minuscule et répétitif est entraînant et communicatif. Le tricotage offre un rapport tactile et une relation bénigne avec les autres, donne une contenance légère aux silences parce qu’actifs et donne un rythme libre à la conversation. Ces interactions indirectes, en dehors de toute finalité, sont apaisantes. Les tricoteurs partagent un temps qui dure, et non un projet (2), une complicité d’autant plus joyeuse que l’objet tricoté est « inutile ». La forme fabriquée présente de multiples bras rattachés les uns aux autres sans arborescence hiérarchisée, sans centre. Elle figure celle d’un réseau en laine qui tel un commutateur instaure des interactions, met en lien. La couleur grise de la laine rappelle la fibre optique et les câbles qui aujourd’hui sont le support technique de la connectivité entre les espaces, entre les groupes et les personnes.
Le mode de fabrication de la forme procède d’une puissance territorialisante inverse à celle d’un réseau virtuel. En effet, un territoire se fabrique avec des actes, du temps, de la répétition, supports d’une appropriation. « Il est tissé de temps, de micro-événements, où s’enveloppent des durées d’échelles variées » (3).
À l’opposé, un réseau social virtuel se compose de points reliés par des relations d’équivalence qui vient généralement à gagner du temps. Par cette ambition de gain de temps, le réseau social virtuel tend vers l’immédiateté, cherchant à annuler ou fondre, temps et espace (4).
Le dispositif tricot produit une concomitance spatiale et temporelle de personnes par petites grappes, génératrice de causeries éphémères. Cette activité collective, répétitive coagule le flux des passants-résidents et encapsule le temps.
La confection du réseau tricoté convoque des éléments qui génèrent du territoire : une pratique collective dans une certaine durée avec répétition, qui en mettant en jeu des opérations d’ordre corporel, occasionne une forme d’appropriation collective de l’espace. Dans ce dispositif, tricoter est un acte d’ancrage, d’enracinement dans la résidence. Les tricoteurs partagent une expérience qui donne de l’épaisseur au temps et une forme à l’espace.
Ainsi, les tricoteurs du réseau n’ont-ils pas gagné – acquis – du temps et de l’espace en se territorialisant ?
1 Le tricot, le travail du nœud et du fil est une activité universelle : toutes les sociétés, communautés, hommes et femmes, ont toujours connu et pratiqué cette activité sous diverses-
formes. 2 Antoine J.P., 2008 : Art, territorialité, réseaux, in Art contemporain et territoire, Ed. Tram, nov.2008, p. 27. 3 Antoine J.P., 2008, déjà cité. 4 Antoine J.P., 2008, déjà cité.
Irruption de mailles, porte empreinte du lieu
La constitution du territoire repose sur des passages répétés dans des espaces partagés. Que ce soit en l’occurrence dans la résidence ou dans des espaces immédiats ou plus loin, chaque trajectoire des résidents constitue, à force, une toile aux fils nombreux qui dessinent une surface géographique. Le réseau tricoté mis en scène dans divers endroits à l’intérieur et hors de la résidence marque ces appropriations territoriales emboîtées, qu’il porte à vue par la trace. Cette forme émane d’un processus territorialisant au cœur duquel se trouve l’intime. De sorte que lorsqu’elle est mise en scène elle y propulse la présence en creux des résidents interagissant. Le territoire, accumulation des chemins familiers et des intervalles qui les séparent se présente comme l’extension d’une demeure (1). Chaque résident est amarré intimement à la ville diffuse, à la société urbaine, par ses déplacements, par ces flux vitaux. Ainsi, la forme réticulaire déployée dans les couloirs du RER, montre ces passages comme une extension de la résidence.
1 Antoine J.P., 2008, déjà cité.
Zoé Vaillant et Caroline Vaillant, juillet 2012.
Zoé Vaillant, née en 1977, est géographe Maître de conférences à l’Université Paris Ouest Nanterre la Défense. Ses recherches portent sur les liens entre dynamiques du territoire et inégalités de santé.
Le travail présenté ici s’inscrit dans une recherche financée par l’Institut de Recherche en Santé Publique. L’objectif est de comparer les liens réflexifs entre territorialité et santé des étudiants de plusieurs résidences universitaires publiques : Nanterre et Paris quartier latin. Ces localisations contrastées sont supposées conditionner des territorialités multiples constituant un support et un vecteur de comportements différenciés liés à la santé.
www.espace-sante-territoires.fr
Caroline Vaillant, née en 1976, est diplômée de l’Ecole Supérieure d’Art et Médias Caen/Cherbourg. Son travail de plasticienne s’oriente sur l’interaction entre personnes devenant sujets photographiés. Ce travail se construit à travers des expériences fondées sur l’acte de tricoter à plusieurs.